Le potager, le sel, les allumettes.

Publié le par Boyer Jakline

Le potager, le sel, les allumettes.

Je reprends mes " vendanges russes ", abandonnant l'actualité, qui, une fois de plus, met la Russie aux bancs des accusés. Cette fois, c'est le dopage et la fédération d'athlétisme...N'en jetez plus....

Elle a 45 ans environ, réceptionniste à l'hôtel de Nijni-Novgorod, "La Maison de Pierre ", le tsar Pierre le Grand se serait arrêté dans la maison en face ( voir photo )

Je vais quitter bientôt la ville. Nous bavardons .

Elle me parle de sa fille qui fait des études d'orthophoniste, profession dont on me parlera à plusieurs reprises, comme d'une profession très demandée . Des études chères, comme la plupart des études aujourd'hui, mais qu'elle peut se permettre car son mari gagne bien sa vie. Elle me parle de ces enfants du Donbass que la ville a reçus et dont la vue arrache des larmes : des cheveux grisonnants qui se détachent par poignées .
Et puis, évoquant l'inflation, la cherté de la vie, les difficultés, elle me raconte le potager .

Le potager est une quasi institution de la vie russe.

C'est lui qui permet de tenir le coup en attendant des jours meilleurs .

Pommes de terre, concombres, persil, tomates, aneth... Des serres, plus ou moins artisanales, pour préserver du froid. Souvent de magnifiques pommiers, à l'ombre desquels une table et un banc en bois, pour le thé, blinis et confitures l'été.

Ces parcelles souvent ont été données par le kolkhoz aux salariés d'une entreprise associée.
C'est resté. ...Aujourd'hui, par contre, qui veut se faire une datcha et potager, doit acheter son terrain. Plus on est près d'une grande ville plus c'est cher. Pour les moscovites, il faut aller jusqu'à 300 ou 400km. pour trouver des choses plus abordables Les terrains les plus proches, ce sont les oligarques et autres tricheurs qui ont fait main basse dans les années 90 et y ont construit en guise de datcha de véritables forteresses présomptueuses derrière des barricades de bois et de fer.

Je connais les datcha ancienne formule . Dans bien des endroits elles sont habitées à l'année . Par exemple, près de Moscou, elles ont permis à leurs propriétaires de résister : s'intallant là, ils ont loué à des étrangers venus travailler leur appartement à Moscou : 1500 dollars pour un T2 en ville. Une fortune !

Cela donne une image assez juste de la cohabitation des deux mondes : soviétique et nouvelle Russie .


Quand les salaires ne sont pas payés pendant de longs mois, années 90 par exemple, mais pas seulement, il y a ce potager près de votre habitation principale . Il suffit d'avoir des allumettes et du sel et la vie peut continuer. Donc, on trouve dans les maisons des stocks d'allumettes et de sel. Tout le reste, le potager l'assurera. Le sel, car le mode de conservation le plus répandu c'est de mettre au sel : concombres, tomates, champignons, ramassés dans les bois généreux .

" Ma mère mettait au sel, je mets au sel, mes enfants mettront au sel " me dit d'un trait la réceptionniste de l'hôtel. " Vous pouvez l'écrire ". .Avec une fierté dans la voix ...Sous entendu: on peut tenir le coup...Car la crise est là: inflation, guerre à leurs portes... .

Je me souviens à Moscou, au début des années 90. Echange lycéen. Je suis dans une famille . Des intellectuels, des comédiens. Nous nous nourrissons de ce qui a été ramené de la datcha et récolté pendant l'été . Champignons, en sauce en soupe, champignons au sel avec la vodka. Ne sont achetés que des oeufs et un peu de poulet, parce que je suis là, invitée. L'été suivant, je les retrouve à la datcha à 400km de Moscou de l'autre côté de la Volga . Pas d'essence pour se servir de la voiture. Pas de pneus de rechange en cas de problème. Le train et à pied dans les forêts pour ramasser champignons, baies diverses, qui, elles, seront conservées pour l'hiver dans le sucre. Vitamines naturelles.

Parenthèses : je repense à cette remarque de Volker Schloendorf à propos d'une jeune cantatrice biélorusse qu'il fait travailler sur l'opéra Carmen: " il y a beaucoup de fraîcheur dans sa présence. Elle vient d'ailleurs; mais d'une autre époque aussi ". Sans doute n'est-ce pas le moindre charme de la vie en Russie, après un Occident saturé, fatigué, menteur.

Mais c'est la population la moins jeune qui fonctionne comme ça. Chez les plus jeunes, désormais les réflexes sont différents . " Quand la crise économique a pointé son nez, les gens ont fait main basse sur les TV, les frigo " me dit une autre, après avoir évoqué le sel et les allumettes, comme faisant partie du passé....ce qui n'est pas totalement exact . Pour les revendre ?

Chez mes amis trentenaires et/ou citadins, pas de stocks d'allumettes ni de sel...Certains ont revendu la datcha dont ils avaient hérité pour acheter leur appartement en ville .

Mais les marchés proposent tous ces produits issus des potagers : des babouchkas viennent vendre leurs récoltes souvent devant les grands surfaces. On les trouve aussi aux bords des grands axes routiers, devant les maisons en bois de leurs propriétaires.

Ces deux images contrastées de la Russie d'aujourd'hui : une économie de survie toujours dans les gênes, et, les mêmes, offrant une formation pointue d'orthophoniste à leurs enfants. Orthophoniste : le mot français a une double racine grecque . En russe aussi, mais pas les mêmes : logos et pedagog , soit logoped

La Russie loin des clichés et près de nos racines communes.

Des potagers et des datcha's
Des potagers et des datcha's

Des potagers et des datcha's

Publié dans Voyages : vaste Russie

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