Zakhar Prilépine : un des " enfants enragés " de la littérature russe. 2 .

Publié le par Boyer Jakline

Les occidentaux lisent, ce qu'on veut bien leur donner à lire... (traduction)

Le message du roman

Lorsque l’on demandait à Tolstoï ce dont parlait Anna Karénine, celui-ci répondait : « C’est pour répondre à cette question que j’ai écrit ce roman ».

Mon roman n’a pas pour sujet les camps. Il a pour sujet l’homme russe, ses qualités caractéristiques, sa capacité de survie, sa bestialité, ses habitudes, son caractère, sa constance.

Peut-on s’évader de Solovki ?

Des évasions se produisaient à Solovki, qui réussissaient parfois. Une série de preuves ont été conservées. Une telle situation a eu lieu, lorsque des gardes blancs ont créé une véritable organisation, qui s’apprêtait à s’emparer du camp, puis par la suite de bateaux à vapeurs, pour rejoindre le continent et s’enfuir en Finlande par une incursion militaire. Quelques jours avant sa mise à exécution, l’évasion fut déjouée, s’en suivit une série d’exécutions, au cours desquelles Dimitri Likhatchev passa très près de la mort.

Dans les années 20 le camp Solovki était surprenant. S’y trouvaient des ecclésiastiques (119 personnes) au côté de tchékistes déchus (plus de 400 personnes), des socialistes-révolutionnaires, des mencheviks, des paysans, des ouvriers, des membres de l’aristocratie, des comédiens, des musiciens, des représentants de toutes les confessions. C’était une sorte d’arche de Noé. Dans les années 40 et 50 le camp ne représentait déjà plus cette diversité de milieux. Une telle diversité de coutumes et de dialectes ne se rencontrait alors plus que dans les prisons ou sur le front de la guerre civile.

Quand je me rends aujourd’hui dans le Donbass, j’ai à cœur de le dire, là-bas dans les unités des insurgés se trouvent mes camarades de l’opposition – d’anciens nationaux-bolcheviques, d’anciens collaborateurs du FSB, des professeurs de dessin ou de musique, des mineurs. Et tous forment ce milieu unique, non naturel, mais particulièrement intéressant.

J’ai choisi les années 20 du siècle dernier, la fin de la guerre civile, l’accord final du siècle d’argent, qui s’est achevé dans ce camp. J’ai choisi cette époque en raison de sa variété cauchemardesque et incroyable de types et de personnages.

Le système soviétique voulait rééduquer l’homme, il n’y est pas parvenu et le camp s’est transformé en un monstrueux hachoir à viande. Les premières années se produisaient dans ce camp des choses étranges, qui peuvent aujourd’hui surprendre. Deux théâtres, trois orchestres y fonctionnaient, un musée colossal des valeurs ecclésiastiques y furent créés. Un immense travail scientifique s’y donnait, il y avait une autogestion totale du camp, puisque toutes les « bouches » et les unités étaient dirigées par les prisonniers eux-mêmes.

Likhatchev écrit dans ses mémoires qu’il ne faut pas décrire Solovki exclusivement comme un lieu infernal, qu’y avait cours « un intéressant travail artistique ». A côté de la bestialité. Mais dans ses mémoires personne en effet n’écrira qu’on y jouait au théâtre. J’ai achevé de dire certaines choses pour ceux qui ont gardé le silence.

Tous les tchékistes qui dirigeaient le camp en ont été par la suite prisonniers ou bien ont été tués. La moitié de l’administration pénitentiaire fut fusillée dans ce même camp.

Réactions au Refuge en Russie

Il y a eu beaucoup de commentaires injurieux de deux côtés distincts. Certains ont écrit que j’étais antisoviétique, russophobe, détestant la Russie et décrivant toutes ses monstruosités. D'autres que je cherchais à justifier les camps et me faisais l’avocat du système stalinien. On devrait réunir ces critiques pour les amener à trouver un certain terrain d’entente.

Propos recueillis par Elena Iakounine, traduction de Ornella Maigné

Publié dans la vie comme elle va

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