Popularité de Staline en Russie : un scandale ?

Publié le par Boyer Jakline

Voilà un sujet bien sérieux pour un cahier de vacances  et "casse-gueule" s'il en est. Car l'affaire est entendue : Staline a tué à jamais l'idée communiste dans le monde.

Et d'ailleurs déjà Lénine,  et regardons plus loin, Robespierre et 1793.

Damnés de la terre, résignez vous !

 Le temps est venu de prendre à bras-le-corps ce sujet.  Il y va de notre avenir commun,  au rythme où le capitalisme accélère la destruction des hommes et du monde. Après avoir été un formidable outil de développement de l'humanité,  (à quel prix !) voilà qu'il se transforme sous nos yeux en son contraire. 

Il convient de noter toutefois que cette vision de  l'expérience soviétique est  répandue essentiellement en Europe,  où est né le communisme, théorie et pratiques. 

Quand vous êtes  indonésien,  par exemple,  et que 800.000 des vôtres,  communistes et apparentés,  forces vives du pays, ont été  systématiquement assassinés par le pouvoir, 1965, dans l'indifférence mondiale générale, vous ne pouvez pas être si perturbé par les "crimes de Staline".

800.000, c'est justement le nombre de victimes des répressions des années 30 en URSS.  L'ouverture des archives a permis d'approcher la vérité. Pas des millions, pas  de dizaines  de millions.  Chaque vie compte. D'autant plus.

Voir l'article de Bruno Guigue en lien. 

Tandis qu' Arte poursuit minutieusement la programmation des pages sombres de l'histoire soviétique sous le " tyran rouge", en Russie  un nombre important  de citoyens rêve à  Staline. 

  Zakhar Prilépine  dans de nombreuses  " Leçons de russe " sur NTV creuse le sillon pour rétablir la vérité sur ce personnage historique central. Il vient de consacrer une émission à la réhabilitation pourrait-on dire de Félix Dzerjinski, fondateur  de la Tcheka, ancêtre du NKVD, devenu le  KGB puis le FSB.

Son roman " L'archipel  de Solovki" traduit en 2014 démontre si besoin était  qu'il n' oublie rien. L'archipel des Solovki  est dans la glace de la Mer Blanche un des premiers goulags soviétiques. Prilépine aime et popularise de grands poètes,  écrivains,  artistes qui sont tombés dans ces années noires.

Mais  pour lui, il s'agit  à la fois  de dire certaines vérités sur ce dirigeant, le dédiaboliser, et l'URSS en même  temps , à l'attention  des jeunes Russes  qu'il estime  désinformés par les élites actuelles  et les Occidentaux  :

N'en font ils pas l'égal d'Hitler ? Le coup  de  trop,  insupportable. 

Cette popularité de Staline dans la Russie actuelle  nourrit chez nous des analyses soit désobligeantes  soit délirantes sur les Russes. Une amie qui a eu l'occasion d'aller en Russie plusieurs fois et a pu être séduite par l'atmosphère qu'elle y a rencontrée,  me dit être outrée d'entendre  : " les Russes ? Les pauvres !"

Évidemment,  pour les besoins de la démonstration est balayé le contexte historique général  qui font de ces années,  en particulier 37-38, des années noires pour bien des peuples. Penser aux Espagnols qui se choisissent une république et se retrouvent avec Franco l'assassin.  Je vous conseille vivement le film "Lettre à Franco ", qui aborde cette terrible période,  vue du camp de l'état-major franquiste au moment où il passe à  l'attaque. "Les heures de gloire  de Salamanque", dit un de mes amis.

Mais aussi aux Tchèques ou aux Autrichiens,  aux Italiens et aux  Allemands. Nous, Français,  avons eu un break avec le Front Populaire , qui s'appuyait justement sur la présence de cet "arrière" soviétique et les liens étroits des communistes français avec le parti communiste soviétique.

La dureté stalinienne peut-elle être analysée hors de tout cela ? Je ne le pense pas. Bien sûr pour les adversaires du socialisme il est plus avantageux d'expliquer que la terreur est inhérente aux  idées, portée par Lénine, et avant lui, Marx...

La réécriture de l'histoire de la Grande guerre Patriotique,  en cours depuis des années et à son acmé avec la déclaration officielle du Parlement européen,  est l'une des raisons de cet engouement des Russes pour Staline et leur propre histoire,  cher payée. 

Dans ce domaine ces dernières décennies  on est passé, en Russie même, de : la guerre a été  gagnée malgré les répressions grâce au peuple, à la guerre a été gagnée  grâce à  l'intelligence de Staline.

Pour arriver à un point  d'équilibre,  sans doute  plus près de la  réalité : tout le monde s'y est mis, après le début de la mise en œuvre du terrible plan Barbarossa.  Des exemples  fourmillent de dirigeants communistes  soviétiques,  sortant des camps  et se précipitant pour adhérer une nouvelle fois  au PCUS. Il s'appelait encore VKP(b):Parti Communiste de toute l'Union ( bolchevik). Zakhar Prilépine cite des noms.  Ma chère  Olga Berggolts en témoigne aussi. Voir mes articles.

Menacée de génocide par les nazis,  la population,  les populations soviétiques,  ont fait bloc. Si on ne comprend pas ça,  si on écoute les balivernes dont on nous gratifie en permanence on ne comprend rien à  ces gens et leur vie. Pourtant nous avons beaucoup à en apprendre.

L'inscription dans la Constitution  de TOUTE l'histoire depuis 1000 ans  est un moment décisif. 

Le Kprf, actuel PC russe, revendique sa filiation avec Staline,  au point de lui rendre hommage à sa date anniversaire.  Il valorise non seulement son rôle pendant la guerre  mais tout son bilan,  industrialisation,  éducation de masse, programmes sociaux d'avant-garde, lutte contre les épidémies. Cela ne fait pas l'unanimité dans la population,  mais ce soutien officiel  des communistes actuels renforce la légitimité de Staline dont la politique ne s'est pas limitée à  réprimer. Le KPRF représente autour du quart des électeurs.

Je me souviens de discussions enflammées au moment de la perestroïka : peu niait les résultats économiques,  sociaux,  la victoire.  Mais  c'était aussitôt suivi de l'exclamation : à quel prix. 

Prilépine  ne fait pas l'impasse sur les  répressions,  mais  avec l'ouverture des archives,  il constate que le chiffre des victimes est revenu à une proportion moins terrible : 780.000 environ. 

 

Au cœur de cette nouvelle charge,  les famines en Ukraine,  1932-1933, tentative de génocide des peuples ukrainiens. (voir mon article précédent).

Cette fable sinistre,  née dans les plans nazis avant l'assaut sur l'URSS,  a été largement reprise et popularisée dans les années 80 par les Américains qui ont toujours un oeil et les mains  sur l'Ukraine, Joe Biden en tête... " arrachons l'Ukraine à l'URSS et nous lui arracherons les dents" .

Il fallait,  il faut un génocide capable d'être aligné avec l'holocauste. Staline égale Hitler etc, etc...

Israël, appelé par le gouvernement ukrainien à soutenir cette campagne, s'y est refusé...

L'Ukraine,  ses terres riches, et la porte vers le Caucase et son pétrole. Vielle histoire, toujours à l'ordre du jour. En particulier en Pologne qui reprend son vieux rêve dévastateur d'accès aux 3 mers, dans les bagages de l'OTAN, "Atlantique Nord" , jusqu'à l'Afghanistan...

Figurez vous que 1933 fut une année  de bonnes récoltes en Ukraine.  Les photos monstrueuses exposées en démonstration sont venues de la guerre civile,  des épouvantables années 1920-1922. Au passage, avec intervention de la France et de l'Angleterre  venues à la rescousse du vieux monde honni.

Les universitaires anglo-saxons font beaucoup pour étudier le monde russe et soviétique. Chez nous,  ces domaines sont dans les mains d'idéologues hostiles  dont les travaux irriguent ensuite "l'information" . 

Ce traitement particulier auquel nous sommes soumis tient,  je pense,  à l'histoire  révolutionnaire de notre pays,  à  nos liens particulièrement étroits  avec l'URSS. Il faut  tuer toute envie.  Et ça marche.  C'est  dans la  gauche diverse, PCF compris,  que l'affaire est entendue.  Staline a cassé notre espoir. Vous avez tous entendus ça non ? Fermez le ban.  Et bien,  justement,  si on veut ouvrir une perspective à notre pays,  il faut  rouvrir le débat. 

J'ai moi-même été  longtemps saisie de doutes. Mais la fréquentation de l'URSS ( quel choc!) puis de la  Russie,  de ces hommes et femmes,  la prégnance aujourd'hui de la culture soviétique dans les individus et les habitus ont nourri ma réflexion. 

Et puis,  tout de même,  il faut quelquefois revenir aux fondamentaux : à qui profite la permanence du "débat" sur les crimes de Staline  ?

Enfin, ne pas avoir une vision sommaire de la  société russe actuelle. Il y a un débat  souvent violent autour de l'URSS,  des années staliniennes  en particulier. V. Poutine est monté à plusieurs reprises au créneau pour combattre l'URSS.

C'est un débat aux contours de classe : dans les milieux populaires,  les plus  fragiles dans le libéralisme débridé actuel, stratégie du choc oblige,  il y a une grande nostalgie. Plus on monte dans la hiérarchie des couches sociales plus la critique jusqu'au rejet grandit. 

Comment ne pas évoquer mes rencontres avec ces vieux travailleurs,  bolcheviks des années 30 ? Mon professeur soviétique de  l'université d' Aix en Provence  m'avait invitée à Moscou et ce fut l'occasion de plusieurs rencontres mémorables avec ses parents,  dans leur toute petite datcha, bâtie de leurs mains milieu d'un potager  nourrissier.  Le terrain était  donné aux citadins,  moscovites,  par le kolkhoz local, nous étions à  une  soixantaine de kilomètres de Moscou,  en amont de la Moskova,  propre et claire. Il fallait aller chercher l'eau  à  un puits,  à  200 mètres, sur un chemin cabossé.  Bref, de l'écologie avant la mode...

Lui, ouvrier métallo,  elle ouvrière du textile,  elle se rappelait ses premières vacances  en 1927, elle avait 14 ans et était partie  camper avec ses copines.  Lui,  défendait bec et ongles son pays, son travail  utile,  sa victoire sur le nazisme  et la possibilité donnée à sa fille  de devenir  universitaire.  Bien sûr qu'ils défendaient Staline. Les années 30 vues de là  nuançaient le tableau,  moins manichéen. 

Moi, étudiante,  la tête  farcie de l'antisoviétisme de mes professeurs  aixois,  je compris  très vite que  c'était une spécialité  des sections Slaves de l'Université française, j'écoutais de mes deux oreilles,  ma connaissance de la langue étant en chemin...

J'aurai l'occasion de revenir sur l'intérêt que suscite la civilisation soviétique actuellement en Russie. De très nombreux articles sont publiés dans la presse de gauche. 

Je ne résiste pas à  partager le texte plein d'indignation publié par RT.France de Bruno Guigue. Considéré comme un personnage sulfureux... Par qui ?

Vous noterez cette information qu'il y avait moins de prisonniers politiques dans l'URSS de Staline  que dans l'Amérique  de Trump et... d'Obama où  l'emprisonnement des jeunes,  hommes noirs de préférence,  est le mode de leur "gestion" politique. 

 

Prochain article,  Staline et l'histoire soviétique  vus par un ami russe la gauche actuelle.

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