Paix à ton âme, Vladimir Illitch ! (1)

Publié le par Boyer Jakline

Évidemment,  ici et en Russie  il en est qui se demande  s'il avait une âme,  et tranche : non.  

Voilà que la première  chaîne publique de télévision  russe s'apprête à programmer une nouvelle série, résultat "d'enquêtes " pour  une nouvelle fois  salir le philosophe et le révolutionnaire.

 

En 2019, il faut  encore et toujours  salir Lénine.  C'est dire ! 

Mon ami et indispensable  philosophe de  Oufa monte au créneau  dans Sovietskaya  Rossya du 21 novembre  dernier.

Son article,  véritable  dossier, est long, mais il faut bien ça :

 18 émissions de 52 minutes..  Je le publierai en plusieurs  fois..

Rustem Vahitov n'est pas communiste. C'est un intellectuel bachkir qui a grandi, étudié, et commencé à travailler en URSS. Il a, il y a quelques mois, publié un très long article- ils sont toujours très longs- où il comparait son statut de professeur d'université, ses conditions de travail... et de vie avant et maintenant. Ce n'était pas à l'avantage de la Russie actuelle. Ce qui ne signifie pas  une volonté de retour-en arrière- point- final.  

L'article est intitulé : " un mégaprojet :18 seaux de boue".

Vous trouverez le lien avec l'article qui a mis le feu aux poudres et provoqué cette réaction dans Sovietskaya Rossia. Journal suisse en français.

Les lecteurs de ce blog connaissent bien " la thèse" : la terreur commence avec Lénine et non Staline. Donc tout projet révolutionnaire est voué à la terreur, elle- même initiée par Robespierre. Donc supportez, braves gens, car c'est pire. Donc, donc, donc.

CQFD.

Cette thèse court aussi très largement les milieux de gauche, dans sa diversité.
Depuis 40 ans, la " thèse" s'est doublée d'un codicille : Staline = Hitler, réactivé depuis ces dernières années sous forme de réécriture de la Grande Guerre Patriotique ou Deuxième guerre mondiale. Toutes les réécritures sont permises, voire encouragées.

Sujet hautement sensible, suffisamment pour que la Télé publique russe remette le couvert en ces temps de fort mécontentement populaire et de nostalgie.

Traduction : 

 

Le 11 novembre dernier, le site Web de la chaîne de télévision Russia Today a publié un article du journal français La Liberté avec un message scandaleux.

La  première chaîne de la télévision publique russe s'apprête à monter, comme il est maintenant d'usage de le dire, un mégaprojet : un documentaire de 18 épisodes sur Vladimir Ilitch Lénine, tourné en 2017, à l'occasion du 100e anniversaire de la révolution. Le lecteur intrigué a découvert que le projet était en préparation depuis pas moins de 4 ans et que 18 officiers du FSB y travaillaient (apparemment, un par série?) Sous la direction de l'ex-chef du département des archives du FSB, Vassily Khristoforov (il est devenu "ex" après que le président  Poutine ait exprimé son mécontentement face à son désir d'entrer à l'Académie des Sciences).
Dans le même temps, le scénariste Igor Lipine n'a même pas fait semblant en déclarant que les auteurs du film ne prétendaient pas à  une sorte d '"objectivité scientifique", qui imposerait de dire quelque chose de positif avant d'aborder les "lacunes" et les "revers" ... Après tout,  il s'agit d'une figure marquante de l'histoire russe et mondiale, qui a été hautement appréciée par presque tous les représentants de l'élite culturelle d'alors, de Herbert Wells et Bertrand Russell à Albert Einstein et Mahatma Gandhi. Mais à quoi bon  de telles révérences académiques  pour ceux qui sont habitués à regarder leurs téléspectateurs comme un "une masse de bofs qui gobe tout"! Le scénariste Lipine  dit franchement que c'était un   film de  pure  propagande, qui  devait noircir le tableau  : il s'agit de "dissiper le mythe du gentil Lénine", qui s'opposerait au "méchant Staline". Après tout, c’est Lénine, poursuit le scénariste, qui a «commencé la Terreur rouge»! 

En outre, le scénariste a ravi les lecteurs du site quand il a déclaré qu’en 4 ans, ces 18 «historiens en uniforme» ont réussi à trouver une lettre dans laquelle Lénine a ordonné la destruction des koulaks;  il a également laissé entendre vaguement qu’il possédait la preuve de «l’anomalie mentale» du leader de la révolution.

 Ce n’est donc pas pour rien que Poutine n’aime pas les hauts fonctionnaires qui se la jouent scientifiques!

Quatre ans, durant lesquels  ces gens ont fouillé dans les archives!  Il est effrayant d'imaginer l’argent alloué à la création d’une épopée aussi titanesque que pseudo-documentaire, comparable en volume à une soap-série moyenne ! Et quelles pépites sont sorties de tant de “jours-dollars” dépensés?  Que pendant les années de guerre civile, Lénine a ordonné de fusiller des koulaks (qui n'étaient pas vraiment des agneaux , et très souvent,ont tué des communistes et des  pauvres hères ) et des spéculations vagues sur ses troubles mentaux, aussi «fiables». que la légende  sur " sa syphilis du cerveau "! 


Pour accoucher d'une telle souris de propagande, il n'était pas du tout nécessaire de rester dans les archives des services spéciaux pendant quatre ans, en publiant régulièrement l'énorme budget du film. Tout cela pouvait être obtenu dans des sources publiques - sur Internet ou dans des bibliothèques  ordinaires, presque gratuitement. Par exemple, j'ai entendu quelque chose de similaire il y a 30 ans, dans ma prime jeunesse. On  se passait de main en main le livre de l'écrivain Soloukhine, intitulé "En lisant Lénine". Il s’agissait uniquement de citations de l’œuvre complète de Vladimir IIlitch, dont les volumes étaient en accès libre dans toutes les bibliothèques de villes ou des régions. Les étudiants et les écoliers ne prenaient généralement que les volumes où des travaux étaient recommandés par les professeurs d’études sociales et de philosophie. La curiosité des écoliers, en règle générale, n'est pas allée jusqu'à la correspondance durant la guerre civile. Et là, bien sûr, il y avait beaucoup d'ordres et de télégrammes qui étaient inévitables pour tout homme politique de cette époque de tempêtes (les généraux blancs idéalisés par Soloukhine ont donné des ordres non moins rigoureux pour des exécutions de masse), ce qui, bien sûr, contredisait l'image feutrée du «grand-père Lénine». imposée à la fin de l'URSS à presque tout le monde, dès la maternelle.


Le livre de Soloukhine a durement frappé les cerveaux fragiles des étudiants et des lycéens de l'ère de la Perestroïka!  Elle en a fait des anticommunistes et antisoviétiques, poussés vers les «meetings démocratiques» qui  ont ouvert aux ex secrétaires du komsomol et du parti la voie vers banques et  holdings, vers leurs propres yachts et hélicoptères - au cri de «communistes sanglants» et «oui auvirage démocratique». ..
Puis au fil des ans, la lucidité, une  prise de conscience ont grandi,  qu'il  ne faut pas traiter ces sujets en dépassant les bornes, animés  par les seules émotions, que, en temps de  guerre civile fratricide il ne peut en être autrement, qu'on nous a trompés avec  ce sommet de  propagande, selon lequel  Lénine était le  dictateur de la république ... pas un sage "tolstoïen".

Mais ça, on l'a compris après.

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Je pense qu'après la sortie de ce film (cependant, ceux qui le souhaitent peuvent désormais le regarder sur Internet), de nombreux historiens professionnels voudront exprimer leur point de vue faisant autorité sur cette "étude en forme de dénonciation". Je ne doute pas que l'épopée est pleine de contre-vérités, de démagogie et de franches falsifications.  Cela ressort déjà clairement de la déclaration du scénariste Lipine selon laquelle Lénine serait l'instigateur de la terreur rouge et qu'il s'agit là de la principale preuve que Lénine est "aussi pervers et cruel que Staline". 
 Il faut rappeler que l'attentat sur V.I. Lénine, commis par Fanny Kaplan, ainsi que l'assassinat de Leonid Kannegiser, dirigeant de la Tchéka de Petrograd  ont motivé la déclaration de  la terreur  le 2 septembre 1918 par Yakov Sverdlov dans l '«Appel du Comité exécutif central russe» et confirmée par la décision du Conseil des Commissaires du peuple du 5 septembre (qui, bien entendu, ne portait pas la signature de Lénine, mais les signatures de Kursky, Petrovsky, Bonch-Bruevich et Fotieva). La résolution a été accueillie avec satisfaction par le président de la Tchéka, Dzerzhinsky, qui a déclaré que les "salopards contre-révolutionnaires" pouvaient être légalement éliminés. 

(Au fait, il faut savoir que les services spéciaux russes vouent  un véritable culte à Dzerzhinsky et  les18 enquêteurs recherchant des preuves incriminantes contre Lénine, sont probablement assis sous les portraits de Dzerjinski).

Ainsi, Lénine, grièvement blessé par une balle fatale, ne songeait pas à déclarer la terreur, (bien qu'il ne fût pas un démagogue en démocratie,  hypocrite comme Eltsine, qui a d'abord reproché aux bolcheviks des exécutions et a ensuite ordonné de tirer sur le Parlement). (1993. J.B)
Mais, je le répète, les historiens feront beaucoup mieux ce travail. Je ne suis pas un historien, mais un philosophe de métier

. Je vais donc parler de l’idée principale du film, qui affleure déjà dans l' entretien avec le scénariste Lipine. Et cette idée est simple, comme un conte de fées destiné aux enfants retardés  :  dans l’histoire de l’humanité, il existe deux types de dirigeants,  certains sont bons, ils vous tapent sur l'épaule,  distribuent des cadeaux, d’autres sont pervers et ordonnent  de torturer et fusiller.  Les premiers sont par nature gentils et généreux,  les seconds sont méchants et cruels de façon innée. Les circonstances historiques, la disposition des forces sociales, les contradictions qui se sont accumulées dans la société, les humeurs et les exigences des masses - tout cela n'a pas d'importance! 
Il est clair que ces historiens de malheur, ignorant le principe de l'historicité et pensant dans le cadre du schéma «bon roi - mauvais roi », créent leurs «enquêtes» non sans intention opportuniste. Après tout, il est très utile pour sa carrière et son compte en banque personnel de laisser entendre en passant que maintenant - grâce à Dieu! - nous sommes gouvernés par " le bon chef". Dans l'émission " Ligne directe"  il plaint l'enfant malade et  ordonne de le conduire à l'hôpital à Moscou. Il  interdira de fermer l'école du village! Sans bien sûr dire que ce sont  les ministres nommés par lui qui ont signé pour «optimiser» les hôpitaux et les écoles à la campagne ...
Evidemment, la réalité est  beaucoup plus complexe et plus dure. On trouve chez Friedrich Engels une réflexion ironique  sur les capitalistes bons et méchants. Voilà le fond :  le capitaliste peut être un homme bon et généreux ou malfaisant et cruel, cela ne change pas grand chose, car ses actions ne sont pas déterminées par ses désirs subjectifs, mais par les lois objectives de l'économie. Si le capitaliste augmente gentiment les salaires de ses ouvriers, leur fournit des congés payés et  des congés de maladie, leur logement et le traitement de leurs enfants, il sera obligé de compenser tout cela au détriment du prix des biens produits dans son usine. Et cela signifie que les biens de la fabrique du bon capitaliste seront plus chers que ceux de la fabrique du capitaliste dur  et malfaisant, dont les ouvriers reçoivent des miettes, travaillent sans congés et sont virés en cas de maladie. Le bon capitaliste dans ce cas va tout simplement faire faillite et reconstituer l'armée des chômeurs, qui ira s'entasser  aux portes de l'usine du méchant capitaliste. Par conséquent, si le capitaliste veut préserver son capital et sa production, il doit alors presser le dernier sou du travailleur  qu’il en soit désolé ou non. Il devra oublier sa bonté, se faire violence, sans quoi la loi du marché capitaliste lui sera fatale. 
La situation est exactement la même en politique, en particulier dans les situations  où se joue le destin, nécessitant des actions rapides, imposant des décisions comme dans les situations d' affrontements civils

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En fait, le scénariste Lipine ment délibérément. ITout le monde sait que Lénine n'était pas par nature une personne perverse, cruelle, rancunière, hautaine et perfide, qui aimait torturer  ou nourrissait  de la colère à l'égard de ceux qui ne l'auraient pas pris au sérieux. En général, il ne pensait pas beaucoup à sa propre personne, ne prétendait pas être quelqu'un d' important, un chef, il aimait plaisanter, rire, y compris de lui-même. Lénine ne se souciait pas particulièrement des vêtements, ne pensait pas à quoi il ressemblerait quand il serait à la tribune, il était très simple dans ses relations avec ses collègues et exigeait la même attitude envers lui. Lénine ne voulait pas célébrer son 50e anniversaire, cédant aux pressions, il arriva seulement à la fin et ... prononça un bref discours sur le danger du culte du chef... Il était indigné des tentatives de glorification de sa personnalité et avait honte de ces agissements : il est  inutile, disait-il, que les marxistes adhèrent à la théorie du héros et de la foule. Il  exigeait que ses portraits soient enlevés du mur, s'il en  voyait quand il entrait dans des locaux (y a-t-il aujourd'hui beaucoup de patrons embarrassés par leurs propres portraits dans les bureaux des fonctionnaires?).
Il était si peu attaché à son image  qu'il restait indifférent aux attaques sur sa personne. Le comédien Averchenko publia un livre «Un millier de couteaux dans le dos de la révolution», qui contenait une caricature de Lénine. Lénine, dans la Pravda, conseilla d’imprimer le livre à un grand tirage en URSS, afin que les citoyens de l’Union soviétique puissent voir le vrai visage de la majorité des émigrés blancs qui n'aspiraient qu'à fréquenter de grands restaurants. Ilyich n'était pas du tout indigné  que les citoyens lisent  les plaisanteries à son sujet. De nos jours la réalité est toute autre : un dirigeant a expulsé un comédien de la télévision qui avait osé le caricaturer dans un programme satirique ...

Au fait, alors que Lénine était  président du Conseil des Commissaires du peuple, des caricatures sur les commissaires du peuple et le chef du gouvernement étaient publiées dans les journaux officiels soviétiques. et la loi tsariste sur les punitions pour «insultes envers les autorités» avait  été abrogée ...
Éduqué dans une famille intellectuelle typique, Lénine a toujours été  absolument courtois avec tout le monde, et en particulier avec ceux qui étaient inférieurs à lui.  La façon dont il traitait les gardes et l’équipe technique du Kremlin les surprenait,  ces travailleurs qui se souvenaient très bien des fonctionnaires arrogants et imbus d'eux mêmes de l’ancien régime. Il était impossible d'imaginer Lénine en train de proférer des insultes ou levant la main sur quelqu'un. Il n'a jamais fait preuve de cruauté, même dans les cas où cela serait justifié. Kamenev et Zinoviev ont pratiquement trahi leurs camarades après avoir donné le plan d'insurrection d'octobre à la presse bourgeoise. On peut imaginer ce que Robespierre aurait fait avec de tels "camarades!" Le lendemain de la victoire du soulèvement, ils se seraient retrouvés sur la guillotine! Lénine a condamné leur acte, mais jamais   n'a tenté de régler leur compte, ils ont même conservé leurs hauts postes dans la direction du parti!
Au début, après la révolution, Lénine (comme beaucoup d’autres dirigeants bolcheviks) se distinguait même par sa crédulité et sa décence excessives (si je peux m'exprimer ainsi). En octobre-novembre 1917, les bolcheviks ont libéré de prison les chefs de la résistance antisoviétique, leur demandant verbalement ou par écrit de "tenir parole"et s'engager  à  ne plus combattre le régime soviétique! Les dirigeants bolcheviques considéraient qu'ils étaient- officiers,  nobles- des personnes d'honneur - et qu'ils ne manqueraient pas à la parole donnée! Ainsi, les généraux Krasnov, Melnikov, le député monarchiste Purishkevich de la Douma ont été libérés de prison (Lénine lui-même a parlé à Krasnov et, au début, ne lui faisait pas confiance, mais finit par être d'accord avec ses camarades, qui demandaient sa libération, pensant qu'il pourrait tenir parole). Tous les libérés, bien entendu, ont immédiatement rejoint les rangs du mouvement blanc, qui se formait dans le sud de la Russie, et le général Krasnov est devenu l'un de ses dirigeants. Et il était également fier d'avoir trompé les bolcheviks! Leur libéralisme initial a coûté cher aux bolcheviks: ils l'ont  payé de milliers de vies de gardes rouges ...

 

 

 

 

A suivre... au plus vite!

 

 



 
 

 

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R
Super boulot Jakline, vivement la suite!
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B
merci. Oui, gros boulot, mais passionnant.