Avant, après...(1)

Publié le par Boyer Jakline

Article paru  dans  Soviétskaya Rossia,  il y  a  quelques jours. Il s’intitule: le collectif de travail,  passé et présent.

J’en traduis de larges extraits. Cet article  est une fenêtre dans la Russie actuelle.  Ne nous privons pas.

De mon ami Rustem Vahitov.

TRADUCTION :

En général,  on considère que la  civilisation soviétique s’est arrêtée le 25 décembre 1991. C'est ce jour là que Gorbatchev s'est adressé au peuple et a annoncé qu'il se retirait, suite à la fondation de la Communauté des États Indépendants.

Immédiatement  la télévision a diffusé une dernière fois l’hymne soviétique, le drapeau rouge avec la faucille et le marteau a été retiré du Kremlin et le drapeau à  3 bandes hissé.

Mais la civilisation est un concept beaucoup plus large que l’état. C'est aussi la société, un modèle de relations entre les personnes, une " organisation de la vie" comme nommée par un de nos éminent spécialistes.

L'état soviétique a cessé d'exister le 25 décembre 1991. Les Soviets, forme de gestion, ont vécu jusqu'en 1993.

Se transformant jusqu'à être méconnaissables, des éléments de l'organisation soviétique de la vie ont perduré pendant de longues années encore.

1- Il faut attendre l'arrivée de V.Poutine au pouvoir, alors que l'économie capitaliste dominait déjà, pour voir disparaître les relations d'interdépendance propres à la société soviétique.
Pour moi cela s'est achevé lorsque la chaire où j'enseignais depuis 20 ans a été redéfinie et rattachée à une autre chaire. notre collectif de travail s'est transformé en un rassemblement d'individualistes, reliés entre eux par les seuls liens administratifs..

La communauté de travail, cellule de base d'un socialisme authentique,  a survécu aux réformes libérales épouvantables des années 90.

A force d'antisoviétisme féroce, de ténacité idéologique, de réorganisation de la fonction publique, destinée à donner le coup de main au pouvoir, cette communauté s'éteint. Mais elle n'a pas dit son dernier mot et malgré la tentative du pouvoir d'anéantir ces communautés de travail, elles sont appelées à jouer un rôle politique majeur dans le futur proche du pays, beaucoup plus dangereux pour le pouvoir que la chute du prix du pétrole.

Nos politologues pro américains ne le comprennent absolument pas. Dommage.

Qu'est-ce donc que le collectif de travail, cellule de base de la société soviétique?

2- En fait, la société soviétique se présentait en réseaux de ces collectifs-communautés de travail, à l'université, dans les usines, les institutions, l'armée, la police, les sokhoz, kolkhoz, soit " la réalité du communisme" décrite dans l'essai portant ce nom. (du philosophe  Alexandre Zinoviev 1981 : le communisme comme réalité)

 Cet essai se propose d’étudier un communisme à l’œuvre,  concret,  en URSS.  Ouvrage toujours utile, le parti pris  idéologique de l’auteur n’en rend pas moins ce travail  unique. Disponible en français. J.B

Le statut de ces collectifs fut instauré dans la loi en 1983. Le préambule déclare :

le collectif de travail d'une entreprise, institution, organisation est l'unité de base de la société socialiste et ...exerce de larges pouvoirs dans la vie politique, économique, sociale du pays. Leur activité repose sur la propriété socialiste des moyens de production et le développement planifié de l'économie... Dans les collectifs de travail, le travail en commun est réalisé sur la base de la coopération et de l'entraide, l'unité de l'Etat, les intérêts publics et personnels sont assurés par le principe de responsabilité de chacun devant le collectif et du collectif devant chacun.

 

Les collectifs de travail de la société soviétique sont les héritiers des institutions collectivistes traditionnelles  de la Russie, telles que la communauté paysanne et l'artel ouvrier. ( Souligné par moi J.B)
En URSS, ils remplissent plusieurs fonctions sociales à la fois.

1- économiques, bien sûr ....remplir le plan quinquennal...En échange ils recevaient la sécurité de l'Etat : salaires, primes, services médicaux gratuits, logements de service, place dans les crèches, dans les camps de pionniers, bons pour les sanatoriums, maison de repos etc... Ils intervenaient aussi pour la répartition des bénéfices matériels, primes, aides de toute sorte au bon travailleur, et punition pour le mauvais : alcooliques, oisifs, indisciplinés...

2-  Ainsi on en vient à la deuxième fonction : morale et spirituelle.

L'idéologie de l'Etat soviétique proclamait que le but des citoyens soviétiques était de construire le communisme- une soviété où l'exploitation de l'homme par l'homme serait abolie, les besoins matériels et spirituels des gens seraient pleinement satisfaits et une solidarité et harmonie sociales complètes atteintes.On croyait que les obstacles institutionnels à cela avaient été éliminés avec la transition vers le socialisme et l'abolition de la propriété privée des moyens de production et de la classe exploiteuse. Ne restaient donc que deux obstacles au passage au communisme complet : l'existence des pays capitalistes étrangers, menant des activités hostiles à l'Etat soviétique et l'imperfection morale du vrai peuple soviétique, portant encore les survivances du capitalisme.
Le premier facteur fut laissé à des organes d'état, KGB, politique de la détente dans les années 70 etc...
Le deuxième, lui, était confié aux comités du parti dans les collectifs de travail.

Le parti, véritable état dans l'état, "église laïque", contrôlait le respect des idéaux moraux, tels qu'énoncés dans " le Code moral du bâtisseur du communisme". On pensait ces comités dirigés par les meilleures personnes.  (tout s'est avéré bien plus compliqué...). des épouses trompées, des parents d'ivrognes, ou bafoués par leurs enfants... s'adressaient aux comités du parti.Le caractère moral était discuté en réunion, et l'attitude condamnée.

 

La troisième fonction la plus importante était existentielle. Toute la vie des soviétiques se déroulait dans le cadre des collectifs. On y travaillait, mais aussi on y nouait des relations, on se reposait ensemble, partait en vacances, fêtait le anniversaires, participait à des spectacles amateurs, organisait des activités publiques, on y tombait amoureux, s’y mariait. Les collectifs avaient des fonds d'entraide, des mutuelles, avançaient de l'argent, des "aides" spontanées, pour déménager par exemple. Bref, c'était un espace social où se déroulait la vie d'un soviétique... Sa vraie famille en quelque sorte. Et quand la modernisation économique les  arrachaient aux liens familiaux ancestraux, le collectif de travail demeurait. 

La vie, bien sûr, différait de l'idéal. Il y avait les amoureux du vagabondage, des " migrations verticales" légales. Mais en gros, tout se déroulait comme dit ci-dessus. En URSS, on n'aimait pas ceux qui changeaient de travail pour mener une vie meilleure. on les appelait " les volants". Sous Staline, selon la loi, chacun travaillait là où l'état l'avait placé et le lieu de travail était inscrit dans le premier passeport, 1932, avec le lieu de résidence et la nationalité. Plus tard, cette norme juridique a été abolie, mais il est resté une norme morale.

Même à la retraite, le salarié restait membre du collectif, objet de son attention. Et c'est  le collectif qui assurait les frais d'obsèques.

Contrairement à la communauté paysanne pré-révolutionnaire, la communauté ouvrière soviétique n'était pas proche des lieux de vie. Avec l'urbanisation massive les salariés ont été décimés dans des cités-dortoirs. Les collectifs sont alors devenus la cellule de base de la société et de la vie soviétique.
Pour cette raison, ils ont été la cible privilégiée des "réformateurs" libéraux des années 90.

 

à suivre : la résistance des collectifs de travail...

Publié dans société, Russie politics

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