Prolétaires du monde entier... Sur la solidarité internationale des travailleurs.

Publié le par Boyer Jakline

Mon ami Roustem Vahitov m’écrit pour le blog ce texte,  en forme d’état des lieux de la solidarité internationale.

Synthèse aussi de la révolution conservatrice qu’a représentée la "casse" de l’URSS. 

Je le remercie vivement pour ce tour d’horizon et son point de vue sur ce moment incontournable de sa propre jeunesse  : il était alors étudiant. 

Ce texte devrait être repris dans sa chronique pour Soviétskaya Rossia. 

Je  le traduis :

" Le  Premier Mai, jour de la solidarité internationale des travailleurs,  vient de se dérouler. Comme à l’accoutumé, dans le pays, les représentants des forces de gauche ont participé à des manifestations,  agité des drapeaux rouges, crié des mots d'ordre, entonné des chants soviétiques et sont retournés chez eux, le  moral remonté. Dans les manifestations on pouvait entendre des paroles enthousiastes : " belle ambiance aujourd'hui ! Comme à notre belle époque soviétique !"

Et puis c'est tout. Depuis bien longtemps chez nous,  le Premier Mai est devenu le jour de la commémoration du premier mai soviétique,  bien loin du jour de la solidarité avec les travailleurs. Et où en est-on de la solidarité internationale ? C'est un thème à part, qui fait mal. 

Le dernier mouvement authentique,  sincère,  de solidarité internationale,  il faut remonter aux années soixante,  début des années soixante dix pour le trouver. La jeunesse soviétique ne jurait que par Fidel Castro et Che Guevara,  haïssait des dictateurs comme Pinochet,  apprenait des chants en espagnol, et rêvait de victoires des révolutionnaires sud-américains. Les plus radicaux,  comme ceux qui aujourd'hui gagnent le Donbass, rêvaient de se transporter au delà des océans et de prendre part aux guérillas latino-américaines. 

Mais dès les années soixante-dix, repus, nos internationalistes ont laissé ces idées s’éventer. Ils évoquaient dans les informations politiques "les noirs qui mouraient de faim en Afrique", dans un rire sarcastique. Bien loin des théories marxistes sur l’impérialisme,  c’est l’approvisionnement en saucisson et fromage de nos cités  qui agitait la jeunesse.

Parallèlement,  les sentiments nationalistes ont grandi surtout dans les milieux intellectuels humanistes. D’abord ils ont commencé à protéger les lieux de mémoire du passé,  ensuite ils ont commencé à débattre du "rôle des étrangers dans la tragédie d’Octobre". Bien sûr, l’internationalisme perdurait dans certains milieux, mais d’orientation politique de gauche,  il devint de droite. Les ultramarxistes d’hier se sont transformés en ultra-néolibéraux qui citaient joyeusement leur adoré Yossef Brodski : " la terre est ferme partout où tu vas,  je  recommande les USA."

C'est dans cet état d'esprit que les Soviétiques sont entrés dans la perestroïka et après la casse de l’URSS,  se sont retrouvés dans la nouvelle Russie d’Eltsine. Au début,  les leaders de l’opinion publique,  comme on dit aujourd'hui,  étaient toujours les libéraux cosmopolites. Je me souviens très bien  que les jeunes gens,  enfumés par la propagande libérale, déclaraient en rigolant : " qu’avons-nous besoin de l’armée et de la flotte, si personne ne s’apprête à nous faire la guerre ?"

(" La Russie n’a que deux amis : sonarmée et sa flotte." Phrase du tsar Alexandre III, souvent citée. J.B) Voir le lien. 

Pour ces ex-citoyens soviétiques,  l’Occident  était vu comme indulgent,  souriant, philanthrope qui allait se précipiter pour aider les Russes,  enthousiasmé qu’il était par la "chute du totalitarisme ". Sans oublier d’ajouter qu’une majorité croyait dur comme fer que : " l’Occident est le meilleur des mondes ". Là bas même les chômeurs et les sdf vivent beaucoup mieux et sont beaucoup plus heureux que les habitants de la périphérie planétaire. On peut ne rien faire et jouir des bienfaits du progrès social et technique. 

Dans les années 90, partir à  l’Ouest, y rester était le rêve quotidien de notre jeunesse.

Pour leur pays ce n’était que mépris affiché,  moqueries sur son histoire et ses valeurs sacrées. Ils abîmaient la langue russe en y’introduisant du " american english ".

Mais chaque génération est confrontée à la perte des illusions de sa jeunesse. D’abord il est apparu que ce n’était pas si simple de vivre dans cet " Ouest béni". Ceux qui revenaient racontaient l’amère vérité sur la galère dans les milieux pauvres des sociétés américaine et  européenne. En même temps,  les promesses d’aide faites par les Occidentaux se sont avérées très exagérées. Le pays, aux mains de dirigeants tout dévoués au capitalisme,  s’enfonçait dans la misère et le chaos et l’Occident ne faisait qu’accorder des crédits,  aussitôt volés par l’appareil administratif. Mais les remboursements incombaient aux travailleurs peu argentés qui payaient des impôts. 

En outre, après le départ de l’armée soviétique de l’Europe orientale, les armées  de l’OTAN s’y sont installées. Nos anciens "amis" du camp socialiste s’y sont précipités ainsi que des républiques ex-soviétiques. La Russie s’est retrouvée encerclée de pays hostiles,  équipés des armements les plus nouveaux. Blessés dans leurs sentiments nationaux, déçus par la politique menée par leurs élites occidentalisées, et la politique de l’Occident lui-même,  les Russes ont éprouvé de plus en plus des sentiments antioccidentaux. Même les gens de gauche ont cessé de parler régulièrement de solidarité internationale des travailleurs et d’internationalisme. À la place,  c’était  l’idée russe, la voie particulière de développement en Russie,  l’incompatibilité des valeurs occidentales et russes...

Dans les années 2000, Poutine et Russie Unie se sont appuyés sur cet état d'esprit pour leurs propres objectifs. Évidemment,  venant de leur part, cela ne pouvait être que l’imitation d’une "guerre des civilisations". Il est difficile de croire à un antiaméricanisme sincère de la part de personnes dont les familles sont à New-York et Los Angeles et l’argent dans des banques suisses et américaines. Mais malgré tout ça,  certains de nos concitoyens,  naïfs,  croient toujours au patriotisme de "l’élite".

Mais revenons à la solidarité internationale des travailleurs. Je suis profondément convaincu que la Russie,  comme tout pays civilisé, a sa spécificité,  son  visage à elle. Me sont proches les idées des philosophes eurasiens russes ( Nicolas  Troubetskoï... entre autres) qui ont écrit que dans la civilisation et la culture russes , les valeurs des peuples d’Europe et d’Asie se retrouvent, de l’Ouest et de l’Est. Et du coup,  le capitalisme russe, comme le socialisme russe présentaient des caractéristiques les distinguant de leurs homologues occidentaux. Mais cela ne supprime pas cette réalité : nous vivons tous dans le même monde, qui est toujours plus en liens étroits. Les technologies d’informations nous permettent de nous relier, d’un simple clic, à nos interlocuteurs à l’autre bout de la planète.  Chaque utilisateur d’internet en Russie a sans doute  des liens en Allemagne,  France ou États-Unis.  Mais plus important encore c'est la profondeur des liens des économies. La crise,  née dans l’Asie orientale, a ses effets sur les simples citoyens français et russes. L’instabilité des prix du pétrole sur le marché mondial se fait sentir au Venezuela et en Russie. Les grands consortiums transnationaux ont des filiales en Chine,  Inde, Russie, au Kazakhstan. 

C'est seulement en s’unissant que les simples citoyens,  les pauvres pourront venir à bout de la pieuvre de l’impérialisme qui vampirise les 6 septièmes de l’humanité . Les impérialistes, eux, tirent profit de la division nationaliste qu’ils entretiennent par tous les moyens. 

Et  chez nous,  dans la gauche,  que voyons nous ?

Les soupirs sur notre magnifique civilisation soviétique qui s’éloigne de plus en plus,  les réflexions sur la grandeur de la culture russe, la colère contre  " l’Occident sans foi ni loi". Et rien de cela n’est inexact.  Mais très abstrait,  très théorique.  En pratique nous devons être avec nos camarades d’Europe,  d’Asie , d’Afrique,  d’Amérique latine. Nous devons coordonnées nos luttes.  Quel effet, imaginez, si les grèves s’engageaient non dans une filiale transnationale, mais dans plusieurs  dans différents pays. En un mot, nous avons besoin d’un nouvel internationalisme antiimpérialiste. Le progrès des technologies d’informations le permet depuis longtemps.

Il est question avant tout de volonté politique.

Telles sont mes réflexions après la fête du Premier Mai 2021."

Roustem Vahitov. 

 

 En lien  les propos d’Alexandre III :

" La Russie  n’a pas d’amis... Notre immensité les effraie. Elle n’a que deux alliés de confiance " sa flotte et son armée. " 

Prolétaires du monde entier... Sur la solidarité internationale des travailleurs.
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