Après Crocus : tue le fasciste de Constantin Simonov

Publié le par Boyer Jakline

J’ai créé ce blog il y a tout juste 10 ans. Je voulais faire connaître ce pays, ces gens avec qui j’entretiens depuis l’adolescence des liens d’amitié qui se sont renforcés avec la multiplication des expériences : lycéenne,  étudiante, professeur en France puis à Moscou : de quoi construire une vision aux antipodes de ce qu’on nous raconte ici. Déjà un "narratif", un parti pris bien calé : c’est un pays infréquentable. Nous sommes cependant un certain nombre à le fréquenter avec bonheur. 

Donc, ce blog.

Après l’attentat du 22 mars dernier, terrible,  bien ficelé pour faire mal, la société russe réagit. 

Une vidéo et un poème de 1942... du grand Constantin Simonov. 

Voilà le pays que le président français veut affronter.

52% de nos concitoyens, sondés il y a quelques jours, veulent des négociations avec la Russie. 

Nous ferons nous entendre ?

Le texte qui suit a été écrit en 1942 par Constantin Simonov, immense poète et écrivain alors qu’il était au front. 

La violence, l’inhumanité de la guerre en cours explosent dans ces vers. Les horreurs qu’il décrit il les voit.

Que savons nous de tout ça, ici ? Et qui veut savoir parmi ceux qui appellent à la guerre ? 

Rien, personne. Mais cela n’empêche pas de donner encore et encore des leçons. 

Ces vers sont réapparus dans une boucle Telegram après l’horreur du massacre en plein Moscou, le 22 mars dernier. 

Le texte russe, la traduction en suivant. 

Если дорог тебе твой дом,
Где ты русским выкормлен был,
Под бревенчатым потолком
Где ты, в люльке качаясь, плыл;

Если дороги в доме том
Тебе стены, печь и углы,
Дедом, прадедом и отцом
В нем исхоженные полы;

Если мил тебе бедный сад
С майским цветом, с жужжаньем пчел
И под липой сто лет назад
В землю вкопанный дедом стол;

Если ты не хочешь, чтоб пол
В твоем доме фашист топтал,
Чтоб он сел за дедовский стол
И деревья в саду сломал…

Если мать тебе дорога —
Тебя выкормившая грудь,
Где давно уже нет молока,
Только можно щекой прильнуть;

Если вынести нету сил,
Чтоб фашист, к ней постоем став,
По щекам морщинистым бил,
Косы на руку намотав;

Чтобы те же руки ее,
Что несли тебя в колыбель,
Мыли гаду его белье
И стелили ему постель…

Если ты отца не забыл,
Что качал тебя на руках,
Что хорошим солдатом был
И пропал в карпатских снегах,

Что погиб за Волгу, за Дон,
За отчизны твоей судьбу;
Если ты не хочешь, чтоб он
Перевертывался в гробу,

Чтоб солдатский портрет в крестах
Взял фашист и на пол сорвал
И у матери на глазах
На лицо ему наступал…

Если ты не хочешь отдать
Ту, с которой вдвоем ходил,
Ту, что долго поцеловать
Ты не смел — так ее любил, —

Чтоб фашисты ее живьем
Взяли силой, зажав в углу,
И распяли ее втроем,
Обнаженную, на полу;

Чтоб досталось трем этим псам
В стонах, в ненависти, в крови
Все, что свято берег ты сам
Всею силой мужской любви…

Если ты фашисту с ружьем
Не желаешь навек отдать
Дом, где жил ты, жену и мать,
Все, что родиной мы зовем, —

Знай: никто ее не спасет,
Если ты ее не спасешь;
Знай: никто его не убьет,
Если ты его не убьешь.

И пока его не убил,
Помолчи о своей любви,
Край, где рос ты, и дом, где жил,
Своей родиной не зови.

Пусть фашиста убил твой брат,
Пусть фашиста убил сосед, —
Это брат и сосед твой мстят,
А тебе оправданья нет.

За чужой спиной не сидят,
Из чужой винтовки не мстят.
Раз фашиста убил твой брат, —
Это он, а не ты солдат.

Так убей фашиста, чтоб он,
А не ты на земле лежал,
Не в твоем дому чтобы стон,
А в его по мертвым стоял.

Так хотел он, его вина, —
Пусть горит его дом, а не твой,
И пускай не твоя жена,
А его пусть будет вдовой.

Пусть исплачется не твоя,
А его родившая мать,
Не твоя, а его семья
Понапрасну пусть будет ждать.

Так убей же хоть одного!
Так убей же его скорей!
Сколько раз увидишь его,
Столько раз его и убей!

Константин Симонов. 

Tue-le! (Si ta maison t’est chère)
Si ta maison t’est chère,
Où tu as été élevé par des Russes,
Sous le plafond en rondins,
Où, balancé dans un berceau, tu as nagé ;
Si
les murs, le poêle et les coins te sont chers dans cette maison,
par ton grand-père, arrière-grand-père et père,
ses sols ont été foulés ;
Si le pauvre jardin t'est cher
Avec les fleurs de mai, avec le bourdonnement des abeilles
Et sous le tilleul il y a cent ans
Une table creusée en terre par ton grand-père ;
Si tu  ne veux  pas
qu'un fasciste piétine le sol de ta maison
pour s'asseoir à la table de to
n grand-père
et briser les arbres du jardin...
Si ta mère t’est chère -
le sein qui t’a nourri,
Là où il n'y a pas eu de lait depuis longtemps,
Tu  ne peux que te frotter la joue ;
Si tu n’as pas la force de supporter,
que le fasciste, debout à côté d’elle,
frappe ses joues ridées,
enroule ses tresses autour de sa main ;
Pour que les mêmes mains
qui te  portaient au berceau,
lavent le linge de ce bâtard
et fassent son lit...
Si tu n'as pas oublié ton père,
Qui t'a bercé dans ses bras,
Qui était un bon soldat
et qui a disparu dans les neiges des Carpates,
Qu'il est mort pour la Volga, pour le Don,
pour le sort de notre patrie ;
Si tu ne veux pas qu'il se
retourne dans sa tombe,
Pour que le portrait d'un soldat en croix
soit pris par un fasciste et déchiré au sol,
Et devant les yeux de ta mère,
il lui marche sur le visage...
Si tu ne veux pas trahir
celle avec qui tu es allé seul,
celle que
tu n'as pas osé embrasser pendant longtemps - tu l'aimais tellement -
Que les fascistes la prennent vivante
de force, la coincent dans un coin,
Et tous les trois la crucifient,
Nue, par terre ;
Que ces trois chiens reçoivent
En gémissements, en haine, en sang
Tout ce que tu as toi-même sacrément chéri
Avec toute la puissance de l'amour masculin...
Si tu
ne veux pas abandonner pour toujours à un fasciste armé
la maison où tu as vécu, ta femme et ta mère,
tout ce que nous appelons patrie, -
Sache : personne ne la sauvera,
Si tu  ne la sauves pas, toi ;
Sache: personne ne le tuera
si tu  ne le tues, toi.
Et jusqu'à ce que tu le tues,
tais-toi sur ton amour, n’appelle pas
la terre où tu as grandi et la maison où tu as vécu
ta patrie.
Laisse ton frère tuer un fasciste,
Laisse un voisin tuer un fasciste,
C'est ton frère et ton voisin qui se vengent,
Mais tu n'as aucune excuse.
Ils ne s’assoient pas dans le dos de quelqu’un d’autre,
ils ne se vengent pas avec le fusil de quelqu’un d’autre.
Depuis que ton frère a tué un fasciste,
c’est lui, et non toi, le  soldat.
Alors tue le fasciste, pour que lui,
et non toi, se couche par terre,
non pas dans ta maison pour gémir,
mais dans la sienne, mort.
C'est ce qu'il voulait, c'est de sa faute,
Que sa maison brûle, pas la tienne,
Et que ce ne soit pas ta femme,
Mais la sienne qui soit sa veuve.
Que ce ne soit pas la tienne,
mais sa mère qui lui a donné naissance,
Pas la tienne, mais sa famille
Qui attende en vain.
Alors tue-s- en au moins un !
Alors tue le vite !
Autant de fois tu le verras,
Autant de fois tu le tueras!
 1942
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