La croisée des chemins : être ou ne pas être ? (1)

Publié le par Boyer Jakline

Je suis abonnée au très sérieux et passionnant journal de Fiodor Loukianov : la Russie dans la politique globale. 

Des appréciations,  analyses géopolitiques qui éclairent, si besoin est, la politique étrangère de la Russie. 

On y trouve aussi  de très riches réflexions sur la politique intérieure.  Ici, un article qui s’interroge sur les tâches socio- économiques devant le pays et comment y parvenir. Doit-on s’inspirer de la gestion soviétique, " tout état"? Quelles sont les limites  de la gestion privatisée ?

Pour engager ses réflexions   l’auteur, Serguéï Polietaiev, un jeune économiste, fait une synthèse de l’épopée soviétique qui me paraît digne d’intérêt dans le parti pris qui s’en dégage. 

Je vais donc en assurer la traduction de larges extraits :

 La Russie a besoin d'un bond de modernisation. Il nous faut à nouveau "rattraper et dépasser" pas seulement l'Occident, cette fois, mais aussi l'Orient... Nous avons beaucoup de choses : les ressources, les spécialistes, l'accès suffisant, même si incomplet, aux technologies étrangères les plus novatrices. Nous avons également l'expérience indispensable : durant les 100 dernières années le pays a surmonté quelques crises mortelles, a réalisé plusieurs bonds, par trois fois au moins s'est trouvé en situation d'anéantissement, a pu survivre et renaître.

Dans le développement du pays, quel rôle doit jouer l'état et lequel les compagnies privées ? Quelle  interaction efficace bâtir entre les deux ? Est-il possible de prendre le meilleur de la gestion soviétique et l'appliquer dans les conditions de l'économie de marché et du capitalisme ?

 Dieux de la gestion de crise.

Il y a 100 ans, le jeune état soviétique naissait dans des conditions extrêmes et la nouvelle bureaucratie dès les premiers jours a appris à obtenir des résultats, sans en compter le prix, sans s'épargner elle- même et ceux qui l'entouraient. De 1918 au début des années 60, notre pays a vécu dans les conditions de crise permanente et la menace réelle, non fictive, d'anéantissement. Pendant la Guerre Civile furent crées l'armée et l'arrière et grâce à eux la victoire fut obtenue sur les armées blanches et l'intervention étrangère. Après la Guerre Civile furent réglés les problèmes  de la faim et de la destruction, et, ensuite, dans les années 30 une industrialisation grandiose fut conduite ainsi que la préparation à la nouvelle guerre inévitable. Pendant la Grande Guerre Patriotique, l'expérience extrême de la Guerre Civile a été fort utile, et, avant tout, l'expérience de la mobilisation permanente, la création d'une armée et de l'arrière dans des délais extrêmement courts après la série de catastrophes de l'année 1941.

La reconstruction d'après guerre a signifié pratiquement une seconde industrialisation et la guerre froide qui commençait, la menace nucléaire ont exigé le développement de branches d'industries les plus nouvelles en même temps et même plus rapidement que le probable adversaire : ainsi nous avons créé l'industrie nucléaire et le complexe aéro-spatial, l'électronique et le génie mécanique d'avant garde pour leur époque. L'URSS a construit un bouclier contre les missiles atomiques, a investi l'espace, a fourni pour lui-même et  la moitié de la planète des armements haut de gamme, a construit ses propres avions à réaction.

Tous ces processus ont été dirigés par l'état et les fonctionnaires à tous les niveaux : du Bureau Politique aux employés en tout lieu. Les exécutants appartenaient également à l'état : usines, entreprises, bureaux d'études, instituts de recherche, de constructions, de transports etc... En un demi siècle un des systèmes les plus productifs de gestion par l'état s'est constitué en URSS. C'est historique. Un seul problème : ce système a démontré son efficacité dans les conditions de menace constante, où chaque tâche à accomplir s'accompagnait d'une remarque, exprimée ou sous entendue : si tu n' y arrives pas, c'est la vie de ton pays qui est en jeu.

D'ailleurs, les derniers grands projets nationaux furent des projets civils, non liés directement avec la défense. Le plan de construction de logements de Khrouchtchev, la modernisation des voies ferrées, les trains passant de la vapeur à l'électrique et au diesel.. Tout cela fut accompli au milieu des années 60. En parallèle ont été massivement mis en service les vecteurs d'armes nucléaires à portée intercontinentale, et pour la première fois de son histoire le pays soviétique a pu respirer sereinement : il n'était plus menacé de mort.

Pour l'organisation soviétique, cela signifiait qu'elle se trouvait, également pour la première fois de son histoire, hors de l'état d'urgence. Les projets gouvernementaux sont passés d'une question de vie ou de mort à des lignes abstraites dans les plans quinquennaux.

Les objectifs fixés sont flous. Au lieu de " créer la bombe atomique", c'est "pour assurer le développement de l'énergie nucléaire il faut progresser de tant de points". Au lieu de "construire des logements individuels et détruire les baraquements", c'est " introduire de nouvelles méthodes de construction de logement à panneaux industriels"...

Dans les domaines où il était possible de définir clairement les tâches de l'Etat, elles ont été mises en oeuvre avec plus ou moins de succès.

"Construire en Europe la plus grande usine automobile et y adjoindre une ville d'un demi million d'habitants : aucun problème. Bâtir un immense barrage et rallonger la voie ferrée dans la taïga : un jeu d'enfant. Envoyer une réponse à la navette américaine dans l'espace : facile" .

Nous avons réussi à maintenir l'armée, le bouclier antimissile nucléaire et la défense aérienne à un niveau correct.

Cependant la tâche principale de l'Etat à cette époque était de satisfaire les besoins de la classe moyenne soviétique croissante, en d'autres termes, passer à une société de consommation."

À  suivre.

 

 Le système soviétique s’est avéré incapable de résoudre ces nouveaux défis. Ce qui fait dire à certains que l’URSS avait donné tout ce qu’elle pouvait.  Elle devait être repensée.  Pas détruite.

Dans la seconde partie,  que faire aujourd'hui ? Le pays est-il à nouveau en situation d’urgence ?

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